Colloque "Que reste-t-il des 35 heures ?" (3)

  

2d thème de réflexion :

« Faut-il supprimer les 35 heures ? »

 

Avec l’annualisation du temps de travail, le forfait-jours et le compte épargne temps, le rachat des RTT, les heures supplémentaires défiscalisées… les 35 heures ne sont-elles pas déjà mortes ?

Quelles conséquences aurait une suppression de la durée légale du travail ? La durée du travail pourrait-elle ainsi être modulée en fonction de la pénibilité, du stress, de la dangerosité... de chaque emploi ?

Augmenter la durée du travail (‘travailler plus pour gagner plus’), est-ce réellement la réponse aux maux de l’économie ? La priorité n’est-elle pas plutôt d’élever le taux d’emploi en investissant dans l’innovation et la formation des salariés ?

 

MEDEF :

Depuis le passage aux 35 heures, Mme LEFERREC indique que le MEDEF n’a cessé de plaider pour une politique d’allègement de charges pour compenser le coût de la réduction du travail pesant lourdement sur les entreprises.

Les assouplissements des 35 heures réalisés depuis 2002 vont dans le bon sens, mais il convient d’aller plus loin, car les dispositifs permettant aux entreprises de travailler au-delà de 35 heures sont complexes et l'utilisation du contingent d'heures supplémentaires autorisé (220 heures/an) est très lourd, car il suppose des négociations de branche.

 

Dans ce contexte, il convient de se demander s'il ne faut pas accepter de mettre sur la table la question de la suppression de la durée légale du travail.

Mme LEFERREC a ainsi plaidé pour la possibilité de déterminer par accord entre patronat et syndicats la durée du travail sans qu’il soit nécessaire qu’une loi la fixe pour tous de façon rigide.

 

A la question de savoir si la pénibilité au travail devait être prise en compte dans la détermination de la durée du travail, elle estime que la pénibilité est certes une réalité mais des critères tel que le stress par exemple, sont des notions subjectives.

Il conviendrait donc de procéder avec méthode : définir les conditions d'accès à un dispositif pénibilité, définir les critères de pénibilité, évaluer les salariés concernés, puis en chiffrer le coût.

 

Mme LEFERREC précise que le MEDEF a une préférence pour un allègement de la charge de travail des salariés en fin de carrière, plutôt qu'un système de retraite anticipée qui viendrait en contradiction avec la nécessité de prolonger la durée d’activité des salariés pour tenir compte des évolutions démographiques.

 

 

CGT :

Une suppression de la durée légale du travail serait « une catastrophe », et nous ramènerait à Germinal.

 

Revenant sur les assouplissements réalisés depuis 2002, M. CHADOURNE estime que la détaxation des heures supplémentaires est non seulement une entaille importante à l’esprit des 35 heures, mais surtout « un véritable marché de dupes », car ce sont les employeurs qui décident de faire faire des heures supplémentaires à leurs salariés. Ceux-ci ne peuvent pas refuser les heures supplémentaires qu’on leur impose.

Loin d’être fondée sur le volontariat, cette mesure encouragera les employeurs à imposer des heures supplémentaires à leurs salariés… ce qui revient à détruire le dispositif des 35 heures.

 

Cette nouvelle remise en cause des 35 heures est d’ailleurs injuste. Elle va creuser les inégalités au détriment des temps partiels (parmi lesquels un grand nombre de femmes), des salariés en contrat précaire et des salariés non imposables (qui ne bénéficieront pas de l’exonération de l’impôt sur le revenu).

 

Le recours accru à la méthode du « travailler plus » a des conséquences désastreuses pour l’emploi, puisque cela encourage les employeurs à imposer des heures supplémentaires plutôt que de recruter des salariés.

 

En outre, ces assouplissements coûtent cher à l’Etat et mettent en péril le financement de la protection sociale : plus de 5 milliards d’euros pour les seules exonérations de cotisations sociales selon l’ACOSS (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale).

Cette somme serait plus utile si elle était investie dans le développement de l’emploi stable, la formation, la recherche ou la politique industrielle plutôt que dans de nouveaux cadeaux au patronat.

 

La CGT propose par ailleurs de réformer le mode de calcul des cotisations patronales, puisqu’en l’état actuel du système, l’entreprise qui débauche réduit les salaires, donc diminue sa contribution patronale, alors que celle qui embauche et accroît la masse salariale paye davantage ! Les heures supplémentaires ont donc de l’avenir devant elles…

Il serait préférable de tenir compte du comportement des entreprises en matière de création d’emplois et d’augmentation de salaires: ainsi, l’entreprise qui accroîtrait ses profits en diminuant l’emploi se verrait plus fortement sollicitée que celle qui développe l’emploi.

 

La question de la durée du travail emporte donc d’autres enjeux fondamentaux : la place du travail salarié, le partage des richesses entre travail et capital et l’exigence de liberté pour ne pas être assujettis aux rythmes et aux choix imposées par l’entreprise.

 

 

CFDT :

En matière d'assouplissement des 35 heures, la loi Fillon du 17 janvier 2003 a été au maximum des marges de manœuvres acceptables pour la CFDT. Il n'est pas question de revenir sur les 35 heures comme référence légale, qui étaient une revendication emblématique.

S'attaquer à la réduction du temps de travail c'est s'attaquer à l'emploi. Quand la reprise économique arrivera, les entreprises pourront alors faire le choix des heures supplémentaires plutôt que d’embaucher.

 

M. SCHNEIDER explique cependant que la plupart des salariés sont favorables au « travailler plus pour gagner plus », car les travailleurs pauvres et les temps partiels se multiplient : pour beaucoup de salariés, l’augmentation de la durée du travail se présente comme une solution pour augmenter son salaire mensuel.

La seule façon de doper le pouvoir d’achat des salariés est de négocier dans les branches professionnelles et les entreprises en vue de créer de vrais déroulements de carrière.

 

Par ailleurs, la durée du travail doit être modulée en fonction de la pénibilité, du stress et de la dangerosité de chaque emploi. Mais ces questions relèvent d’une législation.

Une fois ce cadre légal défini, le rôle des partenaires sociaux devrait consister à fixer des modalités pratiques sur les conditions de travail de certains secteurs de travail, de métiers ou d’activités. Des critères précis existent, tels que le pourcentage de maladies professionnelles par secteur d’activité.

 

M. SCHNEIDER explique qu’un parallèle doit être fait avec la prise en compte de la pénibilité pour l’âge de départ à la retraite. Les conditions de travail ont des incidences tant sur l’espérance de vie des salariés que sur la qualité de vie des retraités : il serait tout à fait justifié de mettre en place une bonification pour les travailleurs soumis à des conditions de travail pénibles au long de leur vie active.

 

Une fois que la loi a reconnu la prise en compte de la pénibilité, ce serait ensuite à la négociation sociale, dans ce cadre, de fixer les conditions ouvrant droit à bonification.

Ces bonifications pour travaux pénibles, complémentaires à la rémunération à l’heure, sont mesurables avec des critères précis et parfaitement objectifs :
 augmentation des maladies cardio-vasculaires,
 diminution d’espérance de vie sans incapacité,
 vieillissement prématuré…


 

CFE-CGC :

Les assouplissements des 35 heures réalisés depuis 2002, symbolisés récemment par la défiscalisation des heures supplémentaires, créeront certains obstacles que l’on commence à entrevoir.

D'abord, on ne décrète pas les heures supplémentaires, elles dépendent de la charge de travail des entreprises. Ensuite, bon nombre de celles-ci, en signant l'accord sur les 35 heures, ont négocié un mode d'organisation et une certaine souplesse des horaires. Dans certains secteurs, des salariés auront certainement la possibilité de faire des heures supplémentaires, mais pas dans d’autres… Que se passera-t-il par exemple dans les sociétés de plus de 50 salariés, quand ceux-ci travaillent en équipes de 3 x 8 ?

 

Les différences, qui sont déjà importantes entre petites et grandes entreprises, risquent de s'accentuer et nous pourrions voir se créer deux catégories de personnes, celles pouvant faire des heures non imposables et celles qui seront dans l'impossibilité d'y prétendre et, donc, d'avoir droit à une défiscalisation d'une partie de leur revenu.

 

Pour les cadres, il en est de même. Certains employeurs ne veulent plus comptabiliser les heures supplémentaires et celles-ci ne sont donc pas rémunérées. Il observe une orientation des entreprises vers le forfait jours.

Nous allons donc voir des cadres et des agents de maîtrise gagner moins que les personnels qu'ils encadrent… tout en faisant des semaines identiques en volume d’heures.

 

Rejoignant les propos introductifs du Professeur RADE, M. DOUMECQ a déploré la modification du régime du forfait-jours. Jusqu’en 2005, l’employeur ne pouvait imposer le forfait-jour à un salarié que si deux critères cumulatifs étaient remplis :

-être autonome dans l'organisation de son temps de travail

-et avoir un temps de travail ne pouvant être prédéterminé

Depuis la loi du 2 août 2005, ces conditions deviennent alternatives. Ces entailles au droit du travail sont regrettables.

 

Des minima sociaux doivent exister pour éviter le dumping social dans une économie concurrentielle.

 

M. DOUMECQ a enfin souligné l’importance de la formation professionnelle, qui constituerait une meilleure réponse aux maux de l’économie plutôt que l’augmentation infinie de la durée du travail.

La priorité doit être d’élever le taux d’emploi en investissant dans l’innovation et la formation des salariés.

 

 

FO :

Revenant sur les assouplissements réalisés sur les 35 heures depuis 2002, M. CORET a déploré l’augmentation de la flexibilité qu’ils entraînent : l’annualisation évite de payer les heures supplémentaires et contribue à augmenter le stress au travail.

Quant à la création et l’extension du forfait-jours, ce dispositif change l’unité de mesure du temps de travail.

Le compte épargne temps, lui, a vu son objectif complètement modifié par la loi. Il ne sert plus à indemniser des congés spécifiques ou réduire le temps de travail dans certains cas, mais constitue une épargne supplémentaire pour les salariés. Cela peut poser des problèmes en matière d’augmentation des salaires, les employeurs pouvant prendre pour prétexte l’abondement financier des comptes épargne temps pour ne pas augmenter les salaires.


Plutôt que de voir dans la réduction ou l’augmentation de la durée du travail une réponse aux maux de l’économie française, FO a rappelé la nécessité d’investir en matière d’enseignement supérieur, de recherche et de développement technologique

En ce sens, la mise en place du droit individuel à formation (DIF) semble constituer pour chaque salarié la première ébauche d’un corpus de droits à la formation, cumulables et transférables d’une entreprise à l’autre.

 

A la question de savoir si la flexibilité peut favoriser l’embauche, M. CORET estime contestable de dire que la flexibilité de l’emploi, même habillée sous le vocable « flexisécurité », soit facteur de création d’emploi. L’objectif actuel de la flexibilité semble résider dans la limitation du coût de l’emploi pour les entreprises, et a pour conséquence la multiplication des emplois précaires et à temps partiel.

Pour conclure, M. CORET souligne que le passage aux 35 heures a permis de donner aux partenaires sociaux une place importante. Cette dynamique de dialogue social doit aujourd’hui permettre aux syndicats de s’opposer aux remises en cause de la durée légale hebdomadaire du travail en France, qui doit rester de 35 heures.

En effet, négocier la durée de travail entreprise par entreprise serait conduire à un émiettement de la législation et à un éclatement des droits des salariés.

 

Pour régler le problème du pouvoir d'achat, il faut « augmenter les salaires, pas les horaires ». En effet, conditionner l’amélioration du niveau de vie (gagner plus) par une dégradation des conditions de travail (en travaillant plus) ne peut en aucun cas être qualifié de progrès.

L’heure doit être à l’ouverture de négociations, tant pour les minima conventionnels que pour les salaires réels dans les entreprises.

 

FIN DU COLLOQUE

 

 

 

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