Colloque "Que reste-t-il des 35 heures ?" (2)

                    DEBAT AVEC LES PARTENAIRES SOCIAUX

 

1er thème de réflexion

« Durée du travail : doit-elle relever du champ d’action

du législateur ou des partenaires sociaux ? »

 

Quel a été le rôle de la négociation collective dans la mise en place des 35 heures ?

En matière de temps de travail, la loi doit-elle être supplétive (en cas d’absence d’accord dans l’entreprise) ou au contraire impérative ?

Dans l’intérêt des travailleurs, à quel niveau devrait-on déterminer le temps de travail (par entreprise, par branche ; au niveau national) ? 

 

MEDEF :

Les entreprises n’ont pas été consultées lors du passage aux 35 heures.

Pour elles, les contraintes organisationnelles et financières se sont multipliées.

 

Les effets économiques de la réduction du temps de travail restent à démontrer. De 1997 à 2001, la France a augmenté l'emploi dans des proportions identiques à la moyenne européenne. Ce phénomène doit donc plus à la croissance qu’aux 35 heures.

Sur la scène européenne et internationale, les 35 heures ont soumis les entreprises françaises à une pression concurrentielle excessive.

 

En outre, le coût des heures supplémentaires a limité la croissance potentielle française. Les 35 heures ont donc pénalisé l’emploi et la compétitivité des entreprises : beaucoup ont dû ralentir le développement de leur activité, et certaines n’ont pu la maintenir.

Enfin, les 35 heures ont accru le coût du travail.

En effet, l'un des effets de la loi de passage aux 35 heures a été de contribuer à la mise en place de différents SMIC selon le principe de la garantie de rémunération mensuelle (GRM) permettant aux nouveaux salariés engagés selon des contrats de 35 heures de ne pas perdre de pouvoir d'achat par rapport aux salariés travaillant 39 heures.

De ce fait, le SMIC horaire n'était pas le même pour les salariés selon leur date d'entrée dans le monde professionnel : il existait donc 6 SMIC différents.

Pour mettre fin à ce dispositif complexe, l’Etat a été contraint d’opérer une harmonisation des différents SMIC dans l’objectif de parvenir à un SMIC unique. Depuis 2002, le SMIC horaire net aura

ainsi augmenté de 20%. Une augmentation qui a pesé lourdement sur les entreprises, explique Mme LEFERREC.

 

Elle précise quel doit être le rôle de la loi en matière de durée du travail : doivent seules être reprises par le code du travail les garanties minimales en matière de repos quotidien (11h consécutives), de congés payés annuels, de durée maximum du travail hebdomadaire (48h en moyenne sur 7 jours), de durée du travail de nuit (8h en moyenne par période de 24h) et de temps de pause.

 

En matière d’heures supplémentaires, Mme LEFERREC revendique pour les entreprises le droit de négocier du seuil, du contingent et du taux de bonification des heures supplémentaires. Et ce, tant au niveau de la branche que de l’entreprise.

Le seuil législatif de déclenchement des heures supplémentaires à 35 heures ne doit s’appliquer qu’en l’absence d’accord fixant un seuil différent.

 

Mme LEFERREC indique que les 35 heures ont cependant encouragé le mandatement de salariés, ce qui a permis un véritable échange entre les organisations syndicales et les employeurs.

N.B : dans les entreprises où existe une section syndicale, l’employeur est obligé d’engager une négociation collective au moins une fois par an sur la durée effective et l’organisation du temps de travail (article L. 132-27 du Code du travail).

En l’absence de syndicat dans l’entreprise, la négociation peut se faire par l’intermédiaire d’un salarié mandaté (un accord de branche doit expressément prévoir cette possibilité). N’importe quel salarié peut se faire mandater, sauf ceux qui seraient apparentés au chef d’entreprise (il est à noter que chaque organisation ne peut désigner qu’un seul salarié mandaté).

Le recours à la procédure du mandatement dans les entreprises a débuté en 1996, dans le cadre de la signature des premiers accords “de Robien” relatifs à l’aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT). La loi Aubry I de 1998 a ensuite pérennisé cette procédure.

 

 

FO :

Les 35 heures ont accru la négociation collective, mais pas toujours à l’avantage des salariés.

 

Dans de nombreuses entreprises, l’application des 35 heures s’est traduite par un accroissement de la flexibilité (annualisation...), une augmentation de la charge de travail et un gel des salaires.

Ces nouveaux rythmes de travail ont pu accroître les troubles psychiques et physiques.

Si les 35 heures restent incontestablement une avancée sociale, la question salariale ne doit pas passer au second plan. Ouvriers et employés connaissent un vrai problème de pouvoir d’achat, ce qui explique qu’ils ont pu être tentés par les assouplissements réalisés depuis 2002.

Les 35 heures ont certes encouragé le développement du mandatement, mais M. CORET regrette que « la plupart des salariés mandatés sont partis dans la nature, dont les syndicats n’ont plus eu aucune nouvelle ».

A supposer que ce mode de pénétration du syndicalisme dans l’entreprise soit louable, le mandatement a donc connu un succès  très relatif. Aujourd’hui, on peut considérer le mandatement comme lettre morte.

 

Quant à la négociation collective sur les 35 heures, FO reste attachée à la durée légale hebdomadaire de 35 heures. Dans ce cadre légal ainsi défini, elle affirme être favorable à des négociations de branche, selon les secteurs d’activités.

 

M. CORET précise que la négociation secteur par secteur sur la question du relèvement du contingent des heures supplémentaire n’est pas choquante.

En revanche, il refuse de façon catégorique que leur taux de majoration puisse relever de la négociation collective, le taux de rémunération des heures supplémentaire devant rester fixé par la loi.

 

 

CGT :

Le passage aux 35 heures a été différemment vécu selon les catégories de salariés, selon le type d’organisation du travail (flexible, en continu, ou avec des horaires quotidiens réguliers).

Il importe aujourd’hui de chercher des solutions aux dits problèmes pour que RTT coïncide avec progrès social, amélioration des conditions de travail et création d’emplois.

 

Les 35 heures ont relancé l’intérêt de la négociation collective.

M. CHADOURNE rappelle que le préambule de la Constitution et le Code du travail font du droit de négociation un droit des salariés et non un droit des chefs d'entreprises. C'est donc des revendications des salariés qu'il s'agit de négocier et non des choix de gestion des entreprises. Seuls, les syndicats doivent rester habilités à négocier.

Il regrette que la négociation ait tendance à évoluer vers des accords dits "donnant-donnant", multipliant les dérogations, et entérinant, de plus en plus souvent, des reculs sociaux.

 

M. CHADOURNE met en garde contre les dangers de la négociation d’entreprise : conclure des accords là où les salariés subissent le plus de pression laisse planer le risque d’un « chantage à l’emploi ».

 

C'est pourquoi il insiste sur l’objectif de la négociation collective, qui doit être de rééquilibrer la relation de subordination inégalitaire qu'est le salariat :

puisque le Code du travail inclut le temps et l’organisation du travail dans la négociation annuelle, cette dernière doit permettre de faire le point sur la mise en œuvre de l’accord collectif régissant les droits des salariés de l’entreprise.

La négociation doit ainsi s’attacher à renforcer les garanties des salariés : éviter les horaires supérieurs à 35 heures, limiter le contingent, relever le taux de majoration…

C’est ainsi que la CGT conçoit le rôle des syndicats depuis le passage aux 35 heures.

 

Certes la loi du 4 mai 2004 a bouleversé les règles, et désormais, un accord d’entreprise pourra prévoir des clauses moins favorables que la convention collective de branche (sauf si celle-ci l’interdit expressément). Il y a donc un risque de voir les conventions collectives vidées de leur contenu.

Mais M. CHADOURNE précise que l’accord d’entreprise garde toujours la possibilité de déroger dans un sens plus favorable aux salariés.

 

Il faut surtout être vigilant depuis la modification des modes de conclusion des accords, pour empêcher les tentatives patronales de chantage, de remise en cause des acquis, et pour redonner à la négociation sa vocation de promouvoir le progrès social.

N.B : rappelons ici que jusqu’en 2004, un accord était valable s’il était signé par une organisation syndicale, même minoritaire dans l’entreprise. Depuis toujours la CGT demande qu’un accord ne soit valable que s’il est signé par un ou des syndicats représentant la majorité des salariés.

La loi du 4 mai 2004 n’a pas adopté ce principe de majorité. Elle a introduit un droit d'opposition renforcé, c’est-à-dire que si une majorité d'organisations de salariés s'oppose à un accord, celui-ci est nul et de nul effet.
Dans l'état actuel des règles de représentativité, cela impose l'opposition de trois organisations sur les cinq (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC). Peu importe la représentativité réelle de ces syndicats : aux termes de la loi, la CFTC et la CGT, par exemple, comptent chacune pour un…

 

Dans les entreprises dépourvues de délégués du personnel, le mandatement de salariés pour négocier a été une bonne chose : il a permis la pénétration du syndicalisme dans l’entreprise.

 

M. CHADOURNE rappelle que les 35 heures constituent un acquis social et leur application a permis une création d’emplois nettement supérieure à 350 000.

 

 

CFDT :

Selon M. SCHNEIDER, 350 000 à 500 000 emplois auraient été créés.

Pour la CFDT, il ne peut y avoir une loi identique pour tous, la négociation collective est nécessaire.

 

Celle qui a eu lieu autour des 35 heures a eu un double avantage :

§        permettre aux partenaires sociaux de se découvrir,

§        générer le mandatement de nombreux salariés pour négocier.

 

Certes les différences entre grandes entreprises et PME quant à l’implantation de syndicats ont engendré de fortes inégalités dans le processus d’aménagement du temps de travail : le constat a été fait que plus une entreprise était grande et dotée d’institutions représentatives du personnel, plus elle est passée vite aux 35 heures, avant 2000, date de l’entrée en vigueur du dispositif.

En revanche, les PME de moins de 100 salariés ont eu davantage tendance à attendre les consignes de la branche et à appliquer les 35 heures bien plus tard.

 

Mais M. SCHNEIDER insiste surtout sur le fait qu’une négociation sur trois dans les structures de moins de 100 salariés a eu lieu grâce au recours à un salarié mandaté par un syndicat.

Le passage aux 35 heures a permis aux syndicats de toucher des salariés peu enclins à s’adresser spontanément à une organisation syndicale.

Le mandatement a favorisé la modification de l’image du syndicalisme auprès des salariés des TPE-PME, et a renforcé le dialogue entre l’employeur et le mandaté.

 

Dans un cas sur dix, le mandatement a donné lieu à la création d’un syndicat et, sur l’ensemble des établissements, entre 1998 et 2004, les délégués syndicaux et les institutions élues ont renforcé leur présence.

 

Si les négociations sur les 35 heures ont donc intensifié le dialogue social, M. SCHNEIDER a plaidé pour le développement d’autres formes de négociation, pour pallier les carences de la négociation d’entreprise et de branche.

Ainsi la CFDT est-elle favorable à la négociation territoriale, par la mise en place de structures territoriales professionnelles (N.B : L'article L. 132-30 du Code du travail, issu de la loi du 4 mai 2004, ouvre en effet la possibilité d’instituer, par accord collectif, des commissions paritaires professionnelles ou interprofessionnelles, au plan local, départemental ou régional).

On peut parfaitement envisager selon elle que des négociations sur la durée du travail aient lieu à cet échelon territorial, ce qui permettrait de prendre en compte les spécificités territoriales.

 

La CFDT continue de privilégier la réduction du temps de travail pour lutter contre le chômage. Son objectif est d’atteindre les 32 heures, créatrices d’emplois, sans perte de revenu net, en réorganisant les services.

Elle regrette que la forte augmentation des dividendes des grandes entreprises (Michelin…) n’ait pas été redistribuée aux salariés… à un moment où ils en avaient le plus besoin avec le gel des salaires entraîné par les 35 heures.

 

 

CFE-CGC :

M. DOUMECQ rappelle que la négociation collective a prioritairement sa place dans le domaine de la réduction du temps de travail, mais la loi doit intervenir pour fixer un cadre.

 

Il plaide pour privilégier une logique de conciliation des temps.

Les 35 heures ont incontestablement bénéficié aux cadres, ils ont eu des RTT, des jours de repos supplémentaires accordés. Mais beaucoup continuent aujourd’hui de travailler bien plus que 35 heures.

Particulièrement soumis au stress, à la pression du marché, du résultat, des clients…, les cadres souhaitent simplement non pas travailler plus mais travailler mieux.

La recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie privée devrait être prise en compte.

 

Concernant la renégociation des accords 35h, il est délicat de donner des consignes généralistes. En effet, cette négociation et les revendications qu’elle peut susciter dépendent largement du contenu initial de l’accord, des caractéristiques d’organisation du temps de travail de l’entreprise concernée, des aspirations et des attentes du personnel d’encadrement concerné par l’accord.

 

Pour la CFE-CGC, il et préférable que l’organisation de la réduction du temps de travail se fasse sur l'année voire sur la carrière professionnelle.

Toute réduction du temps du travail doit être négociée au niveau interprofessionnel, par la négociation de branche puis par les accords d’entreprise.

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