Colloque "Que reste-t-il des 35 heures ?"

                         Compte-rendu du colloque du 18 avril 2008 
                   _________________________________________________

 

Invités :

-Christophe RADE, professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
-Sylvain CHADOURNE, représentant de la CGT Gironde
-Philippe SCHNEIDER, secrétaire général de la CFDT Gironde
-Francis CORET, représentant de FO Gironde
-François DOUMECQ, président départemental de la CFE-CGC Gironde
-Frédérique LEFERREC, juriste en droit social MEDEF Gironde



                          INTRODUCTION par ANNE-ALEXANDRINE BRIAND 
                                                          et ROMAIN PAGNAC :
 


Un triple objectif pour cette matinée de réflexion :

  • dresser un bilan des 35 heures à l’occasion des 10 ans de la loi Aubry 1,
  • permettre une rencontre avec les organisations syndicales et les étudiants,
  • nourrir notre réflexion sur le droit social, en cette période où nous pouvons être inquiets du foisonnement législatif frappant le droit du travail : un jour supplémentaire travaillé, recours aux heures supplémentaires facilité, défiscalisation, rachat des RTT… avec cette tentation du gouvernement actuel d’encourager à la négociation au niveau de l’entreprise.

 

Brève rétrospective de la réduction du temps de travail en France :

En France, la réduction du temps de travail a d’abord répondu à des préoccupations de santé et de sécurité des travailleurs :

  • Durant la période industrielle, au 19e siècle, la loi s'est contentée de déterminer des durées maximales de travail :

-1841 : la loi a limité le temps de travail des enfants.

Pour les enfants de 12 à 16 ans, durée maximale fixée à 12 heures par jour
Pour les enfants de 8 à 12 ans, durée maximale fixée à 8 heures par jour

-1848 : la loi fixe la durée maximale pour les adultes à 12 heures par jour

-1892 : loi fixe la durée maximale pour les femmes à 11 heures par jour

 

  • Au début du 20e  siècle, la réduction du temps de travail est devenue une véritable revendication de progrès social :

-Instauration de la semaine à 6 jours en 1906

-En 1919, la loi ramène la durée du travail à 8 heures par jour, et 48 heures par semaine

-En 1936, le Front populaire arrive au pouvoir et instaure la semaine de 40 heures et deux semaines de congés payés

 

Avec la crise économique des années 30, la réduction du temps de travail est rapidement apparue comme un instrument de lutte contre le chômage.

 

  • Durant les Trente Glorieuses (1945-1973), les seules réductions de la durée du travail ont concerné la durée annuelle, avec l’octroi de la 3e semaine de congés payés en 1956 et de la 4e semaine en 1969.

 

  • Dès son arrivée au pouvoir en juin 1981, le gouvernement de M. Pierre MAUROY a décidé de prendre des mesures destinées à réduire la durée du travail, dans le but à la fois d’améliorer les conditions de vie des salariés et de lutter contre le chômage.

       L’objectif était de réduire la durée hebdomadaire de travail à 35 heures en cinq ans.

 

En juin 1981 : signature d’un accord entre le patronat et les représentants des salariés, réduisant la durée légale du travail de 40 heures à 39 heures et octroyant une 5e semaine de congés payés. Une ordonnance du 16 janvier 1982 a mis la législation en conformité avec cet accord.

 

  • 11 juin 1996 : la loi Robien a instauré un système d’incitation financière permettant aux entreprises réduisant la durée du travail de ses salariés, d’obtenir un allègement des cotisations patronales de sécurité sociale.
    Pour en bénéficier, les entreprises devaient établir une convention avec l’État, précédée d’un accord entre partenaires sociaux.

 

  • Juin 1997 : changement de gouvernement avec l’arrivée au pouvoir de M. Lionel JOSPIN, avec comme objectif de politique générale, une réduction de la durée du travail sans perte de salaire à 35 heures.

 

  • 13 juin 1998 : la loi (dite loi Aubry 1) ramène de 39 à 35 heures la durée hebdomadaire légale du travail dans les entreprises privées à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et à compter du 1er janvier 2002 pour les autres.


    INTERVENTION DU PROFESSEUR CHRISTOPHE RADE :

  • « Que reste-t-il des 35 heures ? » : la réponse varie selon les personnes auxquelles on pose la question :

-si l’on sonde les salariés : la plupart cite les jours de RTT

-les employeurs, eux, retiennent les problèmes d’organisation du travail.

 

  • Rappel de la position du Président SARKOZY (déclaration télévisée du 29/11/2007) : « les entreprises pourront s’exonérer des 35 heures en contrepartie d’augmentations salariales ».

 

  • Parallèle à faire entre les 35 heures et « la retraite à 60 ans » : la référence symbolique demeure, mais le régime juridique fait qu’il est très difficile de partir à 60 ans…

Dix ans plus tard, les 35 heures restent toujours la durée légale du travail, mais tout a été entrepris depuis 2002 pour les contourner…

 

1) Que reste-t-il de l’esprit de juin 1998 ? Esprit des 35 heures, es-tu là ? 

2) Que reste-t-il du dispositif technique des 35 heures de 1998 ?

 


I/ L'esprit des 35 heures 

L’objectif était double :

  • Favoriser l’embauche de nouveaux salariés
  • Favoriser l’épanouissement personnel des salariés, dans une optique inspirée de l’esprit de 1936

 

Aujourd’hui, l’esprit de la législation a été perdu.

La loi Fillon du 17 janvier 2003 opère une refonte des dispositifs en application et met en place un nouvel allègement des cotisations sociales patronales, déconnecté de la durée du temps de travail. 

En 2008, les allègements de charges se sont élevés à 21,4 millions d’euros… dont la moitié sert encore au financement des 35 heures pour soulager leur coût pour les entreprises.

Depuis SARKOZY, on est passé « du temps c’est de l’emploi » au « temps c’est de l’argent ». Son objectif est de soutenir l’emploi par la relance de la consommation (idéologie du travailler plus pour gagner plus).

 

  • Bilan chiffré :

-selon Mme Martine AUBRY : environ 500 000 emplois créés

-selon la DARES (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques) : environ 350 000 emplois créés

 

  • En 2002, le changement de gouvernement a marqué la fin de "l’utopie des 35 heures".

Le renversement de logique s’est rapidement traduit par la loi du 17 janvier 2003 qui permet d’une part, la majoration de salaire pour les heures supplémentaires plutôt que le repos (l’inverse des lois AUBRY), et d’autre part, un compte épargne-temps pouvant être alimenté en argent, utilisable comme un compte épargne ordinaire.

 

  • Appréciation des salariés sur les 35 heures :

-les cadres sont plutôt satisfaits des 35 heures

-les ouvriers, en revanche, ont connu une modification de l’organisation du travail, voire une augmentation de la flexibilité (stress, accidents du travail…)

 


 

II/ La "lettre" des 35 heures : que reste-t-il du dispositif technique ? 

Les 35 heures semblent aujourd’hui mortes, car elles apparaissent davantage comme un symbole que comme une réalité.

Des remises en causes directes (phase visible) et indirectes (phase insidieuse) doivent être relevées.

 

1-     Des remises en causes directes :

  • Jusqu’en 2004, toutes les lois ont été des lois de réduction du travail.

Or, par sa loi du 30 juin 2004, le gouvernement RAFFARIN a augmenté la durée légale annuelle du travail de 7 heures, en supprimant le lundi de Pentecôte traditionnellement férié.

 

  • Avec la loi Fillon du 20 janvier 2003, le temps d’astreinte n’est plus considéré comme temps de travail effectif, et fait partie intégrante du temps de repos quotidien et hebdomadaire…

 

  • Depuis 2002, le gouvernement n’a cessé d’étendre le forfait jour : alors qu’il était limité aux cadres dits "autonomes", il a été étendu à tous les cadres, puis aux "salariés itinérants" (commerciaux, VRP, agents d’entretien, livreurs…).

N.B : Le forfait-jour a été créé par Mme Martine AUBRY : il permettait aux cadres "autonomes" de déroger à tout calcul des horaires à la journée, au profit d'un calcul annuel. 

Ce mécanisme entraîne par conséquent la suppression de la limite journalière et hebdomadaire. Il ne reste que la limite d'ordre public de 11 heures consécutives de repos quotidien (article L. 220-1 du Code du travail).

Le forfait-jour peut donc amener des "cadres" à travailler 13 heures par jour (24 heures - 11 heures de repos quotidien), et ce, pendant 6 jours consécutifs (un repos après 6 jours reste d’ordre public, donc obligatoire).

Ce rythme de travail n’entraîne pas le paiement en heures supplémentaires puisqu’il s’agit d’un forfait.

 


2-    
Des remises en causes insidieuses :

  • Une certaine quantité d’heures supplémentaires peut être effectuée : c’est le contingent annuel d’heures supplémentaires. Est imputable sur ce contingent toute heure effectuée au-delà de 35 heures par semaine (ou, en cas d’annualisation, au delà de 1 607 heures par an), quel que soit l’effectif de l’entreprise.

Or ce contingent annuel des heures supplémentaires est passé de 130 heures en 2001, à 180 en 2002, puis à 220 heures par un décret du 21 décembre 2004.

 

  • La loi du 31 mars 2005 a mis en place un régime particulier d’heures supplémentaires « choisies » qui permet d’effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel sans autorisation de l’inspecteur du travail.

Avec la loi Fillon du 17 janvier 2003, un renversement de cadre s’est opéré :

  • avec les lois Aubry, la loi fixe, les partenaires sociaux adaptent.
  • avec les lois Fillon, ce sont les accords collectifs qui fixent les règles.

 

Le problème soulevé par ce renversement de cadre a été, et reste encore, de savoir si les partenaires sociaux sont vraiment les mieux à même pour déterminer les règles…

 

La loi Fillon du 4 mai 2004 est ensuite venue bouleverser les rapports intra conventionnels.

Elle favorise les accords d’entreprise : qu’ils soient interprofessionnels, de branche ou d’entreprise, ils peuvent en effet comporter des dispositions dérogeant aux dispositions applicables en vertu d’une convention ou d’un accord collectif couvrant un champ territorial ou professionnel plus large.

 

Avant la loi Fillon, le principe de faveur gouvernait. Désormais, s’applique ce que le Professeur RADE nomme « principe de proximité » : autrement dit, la loi permet de négocier au niveau de l’entreprise un accord qui dérogerait aux règles fixées par un accord de niveau supérieur.

N.B : Ceci soulève, au passage, d’autres enjeux : quelle est la hiérarchie des normes en droit social après les modifications apportées par la loi Fillon du 4 mai 2004 ? Peut-on vraiment parler, comme certains auteurs le font, de « bouleversement de la hiérarchie des normes » ? Les ouvertures laissées par la loi ne risquent-elles pas d’encourager les entraves aux droits des salariés ?

 

Ce renforcement de l’autonomie des accords d’entreprise amène à s’interroger : l’entreprise est-elle l’endroit le plus serein pour négocier ? Ne risque-t-il pas d’y avoir « chantage à l’emploi » ? 



                                   DEBAT AVEC LES PARTENAIRES SOCIAUX


                                                                   
                           => suite rubrique Colloque "Que reste-t-il des 35 h ?" (2) et (3)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :