"Le sexe en droit social"

Publié le par Résolutions sociales -Association de Droit social

 

Participation du Master 2 Recherche Droit du travail et de la protection sociale à la 7ème journée des Masters Recherche sur le thème du sexe


 

D’après une récente étude de Technologia, 80% des français estiment que leur travail nuit à leur vie sexuelle. Sexe et travail ne feraient donc pas bon ménage.

Les deux notions apparaissent alors de prime abord comme imperméables.

 

D’abord, le terme de sexe fait immédiatement référence aux pratiques sexuelles. Cependant, c’est une acception plus large du phénomène qui sera ici prise en compte.

Ainsi, le sexe renvoie également à la distinction des genres (homme/femme) tout en sachant qu’il peut exister des divergences entre le sexe biologique attribué à la naissance et le sexe psychique ressenti par la personne.

 

Dès lors, il convient d’envisager sexualité mais aussi diversité de genre sous l’angle de notre spécialité : le droit social. Lequel ne se réduit d’ailleurs pas qu’au droit du travail mais englobe également le droit de la protection sociale.

Le droit du travail se définit comme l’ensemble des règles législatives, règlementaires et conventionnelles applicables aux relations professionnelles tant individuelles que collectives.

La protection sociale est quant à elle un système de couverture visant la protection des travailleurs et de leur famille contre l'ensemble des facteurs d'insécurité.

Elle est composée d’une pluralité d’éléments : la sécurité sociale mais également la protection sociale complémentaire, faisant souvent référence aux mutuelles, l'indemnisation du chômage, l'aide sociale avec le RSA notamment et enfin l'action sociale.

 

Les premières interventions législatives en matière sociale ont eu pour objectif de prendre en compte les spécificités du « sexe faible » en le protégeant de façon particulière. C’est à la loi de 1841 sur le travail dans les manufactures que l’on doit ces avancées.

Les travailleurs de sexe féminin, au même titre que d’autres travailleurs considérés comme vulnérables, ont bénéficié de ces faveurs législatives pour répondre à un besoin évident de protection dans le monde du travail.

 

Seulement, cette volonté de protection s’est rapidement traduite par un sexisme bienveillant.

L’une des principales illustrations réside dans la loi de1892 qui interdit le travail de nuit des femmes.

Cette volonté de protection associée à un certain nombre de préjugés sociaux a eu des effets pervers.

En effet, sous l’argument d’une faiblesse supposée de la femme, elle fut traitée différemment des hommes, ce qui a engendré des inégalités inacceptables.

Peu à peu, le droit social s’est inscrit dans une autre logique. Il s’est fait le vif combattant des inégalités et des discriminations fondées sur le sexe.


Le droit social est ainsi passé d’une logique de protection à un moyen de lutte contre les inégalités :

  • Pour preuve, l’interdiction du travail de nuit a été supprimée en 2001 par souci de conformité avec une directive européenne datant de 1976 qui assurait l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de travail de nuit.
  • L'égalité entre les hommes et les femmes a évolué à partir de 1946. Ainsi, en 1946, le préambule de la Constitution pose le principe de l'égalité des droits entre hommes et femmes dans tous les domaines.
  • En 1972, est votée la loi relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes.
  • En 1999, la parité hommes/femmes en politique est également inscrite dans la Constitution.
  • Enfin, l'an passé, a été votée la loi relative àl’égalité professionnelle et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration.

Malgré la mise en place de dispositifs de plus en plus précis et diversifiés, des efforts restent à faire à tous les niveaux notamment en matière d’accès à l’emploi et de rémunération.

 

Par ailleurs, le sexe doit être envisagé en tant que « pratique sexuelle ».En effet, le monde de l’entreprise n’est pas un milieu aseptisé : le travailleur ne laissant pas ses émotions aux portes de son lieu de travail, des relations affectives se nouent nécessairement entre collaborateurs.

Ainsi, les jeux de séduction et l’officialisation de relations plus ou moins sérieuses n’échappent pas à l’entreprise.

 

L’un des enjeux du droit du travail est donc de faire face à ces situations qui peuvent être voulues ou non. Il lui revient la lourde tâche d’établir une forme de frontière entre ce qui relève de la sphère privée et ce qui relève de la sphère professionnelle.

 

Cette tâche est d’autant plus complexe que l’activité sexuelle constitue pour certains membres du monde professionnel l’objet même de leur prestation de travail.

Le droit social étant considéré comme le droit de tous les travailleurs, il convient d’aborder la situation de ces métiers qui restent largement méconnus.

Dès lors, travail et sexe ne semblent plus être des notions totalement antinomiques.

La question se pose de savoir comment la thématique du sexe pénètre le droit social.

 

Il sera particulièrement instructif pour nous, juristes, de confronter le droit social et le sexe. En effet, grands consommateurs de films pornographiques et fervents adeptes de l’onanisme, 74% des français estiment que la sexualité joue un rôle important dans leur vie. Parallèlement, le temps professionnel occupe aussi une place non négligeable dans la vie des français puisqu’en France le temps de travail hebdomadaire moyen apprécié à l’année était de 33 heures et 26 minutes en 2010.

Ces deux composantes (le travail et le sexe) indispensables à la vie quotidienne entrent donc nécessairement en contact.

Le sexe, considéré indifféremment en tant que genre ou sexualité aura nécessairement une influence sur notre travail. À titre d’exemple, la femme enceinte devra quitter temporairement son emploi.

 

La confrontation de notre matière et du sexe sera d’autant plus enrichissante qu’elle nous permettra d’aborder l’incontournable et universelle problématique del’égalité des sexes.

En effet, aucun pays n’est parvenu à éradiquer pleinement les inégalités qui desservent le sexe féminin. Bon nombre de femmes font encore partie de l’«économie informelle » et peinent à accéder au « travail décent ». La précarité menace ces travailleuses en terme de salaires, de droits et d’absence totale de sécurité de l’emploi.

 

Cette question conduit à réfléchir en termes de politique juridique, le risque étant que l’objectif d’égalité se retourne contre les principales intéressées.

Une femme connaît par définition des situations singulières comme celle d’être enceinte. Néanmoins, à être trop protégées, les femmes pourraient se trouver en difficulté au moment du recrutement ou pour l’accès à certaines professionsdurant leur carrière.

Peut-être faudrait-il alors envisager la construction d’ « une égalité qui permette de continuer à prendre en compte les différences » ?

Ainsi, pour atteindre l’idéal d’égalité des sexes, il faudra nécessairement emprunter le chemin de l’amélioration des conditions de travail et d’emploi des femmes.

Dès lors, la dynamique du droit social visant à rechercher une égalité entre les genres apparait tant dans l’accès à l’emploi que lorsqu’il s’agit des rémunérations. Cette entreprise d’amélioration des conditions de travail des femmes est particulièrement délicate et se heurte encore à l’heure actuelle à de nombreux obstacles.

 

Confronté aux pratiques sexuelles, le droit du travail a su concilier le droit des salariés à une intimité avec le pouvoir de direction de l’employeur. Il s’est néanmoins plus difficilement accommodé des travailleurs du sexe. Leurs droits apparaissant comme un véritable désert juridique.

Ainsi, après avoir présenté le droit social comme un instrument de lutte contre les inégalités fondées sur le sexe (I), il conviendra d’aborder la confrontation du droit social à la sexualité dans l’entreprise (II).

 

 

I- Le droit social instrument de lutte contre les inégalités fondées sur le sexe

 

Le sexe et le droit du travail nouent des relations assez conflictuelles que le législateur, puis les partenaires sociaux, tentent d’assainir en essayant de faire du sexe une condition inopérante notamment en termes d’accès à l’emploi et de rémunération.

 

        A) Pour l’accès à l’emploi

 

 

Intéressons nous de prime abord à l’accès à l’emploi ; celui-ci regroupe tant la problématique de l’embauche avec les offres d’emplois que celle de l’accès à certaines professions.

 

Le principe est que proposer un emploi sexué est interdit.

Dès lors, le législateur a proscrit la mention du sexe du travailleur recherché dans les offres d’emplois. Le Code du travail dispose ainsi qu’aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement en raison de son sexe.

 

Depuis 1983, la mention du sexe du candidat recherché dans une offre d’emploi est prohibée, mais cela est plus largement le cas du refus d’embaucher, de la résiliation ou du non renouvèlement d’un contrat de travail en raison du sexe.

 

De plus, il est aussi strictement défendu de prendre en considération lors de l’embauche l’état de grossesse d’une femme, qui n’est d’ailleurs, pas tenue de le révéler à l’employeur lors de l’entretien d'embauche.

 

Il est encore interdit de mentionner le genre, lorsque l'offre concerne un emploi dont il existe une dénomination au masculin et au féminin. Et si, la dénomination de l'emploi n'existe qu'au masculin ou qu'au féminin, une mention ne peut préciser que l'emploi est offert aux candidats des deux sexes (par exemple, ingénieur H/F).

Cette règle s’étend à tous les employeurs, qu’ils soient franchisés, ou en situation de co-emploi, ainsi qu’aux agences d’emplois privées.

 

Toutefois, ces dispositions « ne font pas obstacle à l'intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes, visant à établir l'égalité des chances avec les hommes ; en particulier en remédiant aux inégalités de fait ».

 

De plus, toute disposition faisant du sexe une condition de recrutement serait frappée de nullité et serait considérée comme une discrimination.

 

On rappellera ici l’aménagement de la charge de la preuve par deux lois de 2001 et 2008, qui profite ausalarié victime de discrimination.

Dorénavant, le salarié estimant être victime de discrimination doit seulement présenter des éléments de fait, laissant supposer l’existence d’une telle discrimination.

L’employeur devra alors se défendre en prouvant, soit qu’il n’y a pas eu discrimination donc que les faits rapportés sont faux, soit que sa décision était justifiée par des éléments objectifs, tels que les qualifications, l’expérience et qu’elle répondait à des exigences proportionnées.

 

Il subsiste cependant des métiers sexués de fait.

Ainsi, il existe certains métiers où les employeurs seront tentés de recruter en priorité des femmes (par exemple esthéticienne, ou assistante maternelle).

Et d’autres où ils préfèreront recruter des hommes (c’est le cas de tous les métiers prétendus physiques : agents de sécurité, maçons…).

Il apparaît alors, que le principe de non-discrimination semble quelque peu ineffectif voire hypocrite puisque l’on sait très pertinemment qu’un homme qui répond à une offre d’emploi d’esthéticienne a relativement peu de chance d’être recruté.

 

Il demeure très complexe, pour un salarié victime de discrimination fondée sur son sexe de la prouver, et ce malgré l’allègement de la charge de la preuve.

En effet, l’employeur peut aisément prétendre qu’il a refusé de recruter une personne, en raison de ses aptitudes ou qualifications, plutôt que d’avouer explicitement, que c’est parce que le candidat ou la candidate était un homme ou une femme. Excepté de rares élans de sincérité des employeurs, la preuve de la discrimination sera donc très délicate à apporter.

 

Il existe aussi des emplois sexués de droit, pour lesquels on peut exiger d’avoir un homme ou une femme. Trois dérogations sont prévues par le Code du travail :

  • les « artistes, appelés à interpréter soit un rôle féminin, soit un rôle masculin »;
  • les « mannequins, chargés de présenter des vêtements et accessoires »;
  • les « modèles, masculins et féminins ».

 

Pour ces métiers, les dérogations s’expliquent par le fait, que le sexe est une condition déterminante pour l’exercice de l’activité professionnelle.

En dehors de ces exceptions prévues par la loi, il est interdit de prendre en compte le sexe des travailleurs, dans le cadre de l’embauche.

 

Toutefois, on se rend compte qu’il est encore très difficile pour les femmes, d’accéder à certains emplois, notamment hautement qualifiés, et ce en dépit de la prise de conscience des inégalités entre les hommes et les femmes. En effet, de nombreuses études révèlent que très peu de femmes sont aujourd’hui dirigeantes de grandes entreprises, ou nommées à des postes clés.

Par exemple, on recense environ un tiers de femmes dans les sociétés du CAC40 et seulement 25% d’entre elles ont le statut de cadre.

 

C’est pourquoi le législateur a mis en place une « obligation annuelle de négocier » qui porte notamment sur les objectifs d'égalité professionnelle entre hommes et femmes dans l'entreprise, dont l’accès à l’emploi.

On pourrait regretter que le législateur confie aux partenaires sociaux un aspect aussi important que celui de l’égalité professionnelle, car l’application hétérogène entre les entreprises susceptible d’en résulter, n’est pas acceptable en la matière. Néanmoins, si ces accords permettent de réduire efficacement les inégalités entre hommes et femmes, on peut espérer que les pouvoirs publics s’en inspirent et imposent un dispositif contraignant pour toutes les entreprises.

 

Enfin, on remarquera qu’en matière d’embauche, où le ressenti et l’inconscient ont une importance non négligeable, certaines mesures pourraient engendrer indirectement, un effet positif pour l’accès à l’emploi des femmes. C'est notamment le cas du projet parlementaire tendant à rendre obligatoire la prise effective d’un congé de paternité. Ainsi, en rapprochant la situation des hommes et des femmes en cas de grossesse, heureux événement se traduisant fréquemment par une prise de recul vis à vis du monde professionnel pour la mère, cette mesure serait à même de niveler cette peur récurrente chez les employeurs face aux jeunes femmes.

Faire tomber le tabou de la paternité permettrait sans doute, de favoriser la parité en entreprise.

Prenons l’exemple du groupe Adecco qui incite les hommes à prendre leur congé de paternité malgré ses 70% d’effectifs féminins.

 

Cependant, si on semble être sur la bonne voie en matière d’égalité professionnelle pour l’accès à l’emploi, cela est moins évident en matière de rémunération.

 

B) Pour la rémunération

 

 

Une étude récente de l'Insee et la Dares, démontre que le salaire des femmes est inférieur de 10% par rapport à celui des hommes, à poste identique.

 

Afin de lutter contre un tel phénomène, le Code du travail prévoit qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, en raison de son sexe.

 

Une mesure discriminatoire directe, est une mesure ayant un objet discriminatoire. Une telle discrimination pourra par exemple être caractérisée, lorsqu'un employeur versera une rémunération moins importante à un salarié, en raison même de son sexe, ou de sa transidentité.

 

Une mesure discriminatoire indirecte quant à elle, est une mesure dont l'objet n'est pas intrinsèquement discriminatoire, mais qui a un effet discriminatoire. Par exemple, une fonctionnaire allemande qui s'estimait lésée par la rémunération de ses heures complémentaires, moins payées que les heures normales d'un salarié à temps plein décida d’ester en justice. Au regard de la législation du travail allemande, une telle situation n'était toutefois pas condamnable. Mais dans la mesure où en Allemagne, dans le secteur considéré, 88% des travailleurs à temps partiel étaient des femmes, la CJUE (cour de justice de l’union européenne) a considéré qu'il s'agissait d'une discrimination indirecte fondée sur le sexe.

 

Par ailleurs, d'autres types de mesures peuvent être prises afin de favoriser le gommage de ces inégalités salariales.

 

Ainsi, l’obligation annuelle de négocier, précédemment évoquée, s’impose également en matière de rémunération. Cependant, le bilan d'un tel dispositif est mitigé, dans la mesure où il a certes eu pour incidence une prise de conscience du problème par tous les acteurs du monde du travail, mais il n'a pas permis de réduire significativement les inégalités salariales existantes. Il a donc fallu trouver des mécanismes plus contraignants.

 

Dans cette optique, la loi de 2010 portant réforme des retraites inclut des dispositifs visant notamment la réduction des écarts salariaux entre hommes et femmes.

En effet, ces mécanismes répondent à un objectif plus large, de lutte contre les inégalités professionnelles en matière d'emploi, de formation et de promotion professionnelle, etc. Nous les envisagerons toutefois aujourd'hui du strict point de vue de la rémunération.

 

Le choix effectué par le gouvernement est de jouer sur l’image et la réputation des entreprises. En effet, une synthèse du plan d'action visant à réduire les écarts de salaires devra être diffusée sur le site internet de l'entreprise, avec les indicateurs et objectifs dudit plan.

Mais, le dispositif en cause ne s'applique qu'aux entreprises de 50 salariés et plus, laissant donc les autres sans aucune contrainte concernant l'égalité entre hommes et femmes alors que le paysage socio- économique de la France est essentiellement constitué de TPE-PME (Très petites entreprises – Petites et moyennes entreprises).

 

Pour ces entreprises de plus de 50 salariés, un rapport annuel, relatif à la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans l’entreprise doit être remis au comité d'entreprise, et à défaut, aux délégués du personnel. En outre, un plan d'action comprenant le bilan des objectifs de l'année passée et ceux pour l'année à venir doit être établi. Les salariés ainsi que l'inspection du travail seront obligatoirement informés de cette procédure.

 

Par ailleurs, depuis le 1erjanvier 2012, les entreprises n’ayant pas joué le jeu de la négociation annuelle obligatoire subissent une pénalité financière. Le montant de cette pénalité, est fixé au maximum à 1% des rémunérations versées aux travailleurs (salariés ou assimilés), au cours des périodes durant lesquelles l'entreprise n'est pas couverte par l'accord ou le plan d'action.

 

C’est une sanction théoriquement considérable, car la notion de rémunération fait référence à toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail (ce qui comprend les salaires ou gains, indemnités de congés payés, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, etc.)

 

Ce dispositif s'inscrit donc parfaitement dans un mouvement de lutte contre les inégalités professionnelles entre hommes et femmes, spécialement en matière de rémunération.

Mais on peut s’interroger son impact réel.

Celui-ci semble être assez relatif, dans la mesure où la pénalité envisagée n'est applicable qu'aux entreprises n'ayant pas conclu un accord ou mis en place un plan d'action. Et en aucun cas, aux entreprises n'ayantpas réussi à réduire de manière effectiveles écarts salariaux entre hommes et femmes.

 

Ainsi, une prise de conscience pourra certes être impulsée par un tel dispositif, mais aucun objectif chiffré et précis n'est imposé aux entreprises.

 

Notre étude montre donc que du chemin reste à parcourir pour assurer une égalité entre les hommes et les femmes en matière d’accès à l’emploi et d’égalité de rémunération; mais que des efforts ont été faits, laissant présager et espérer une réduction des inégalités.


On peut, à cet égard, mentionner le rapport de la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) de 2010 qui précise que seulement 4,5% des requêtes portent sur une discrimination fondée sur le sexe contre 20% pour le handicap et 27% pour des discriminations basées sur l’origine.

Il convient alors maintenant de s'intéresser à la notion de sexe entendu comme pratiques sexuelles.

 

 

II- Le droit social confronté à la sexualité au travail


 

A) Les travailleurs et le sexe

 

 

« Le droit du travail est en train de changer de paradigme : il passe d’un droit des travailleurs aux droits de la personne au travail».

Cette formule du Professeur Gilles Trudeau (lors du 29èmecolloque de droit social de Montréal d’octobre 2009), met en exergue la tendance générale de notre matière, confrontée aux problématiques découlant des relations de couple des acteurs de l’entreprise.

 

Depuis la loi du 31 décembre 1992 (loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage) le principe de non-discrimination interdit à l’ensemble des acteurs de l’entreprise« d'apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »(article L. 1121-1).

 

En outre, cette autonomie de la sphère privée des salariés est largement relayée par la jurisprudence notamment avec l’arrêt NIKON du 2 octobre 2001 qui abandonna le concept de vie personnelle pour envisager la protection de la vie du salarié sous l’angle des droits fondamentaux de la personne.

En effet, la chambre sociale affirme que « le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ». Cela implique aussi bien la préservation de l’intimité physique du salarié que l’intimité de sa personnalité

 

La liberté matrimoniale, le statut familial du salarié, ses choix de vie affectifs appartiennent sans hésitation à ces qualifications de « droits des personnes et libertés individuelles ». Cette non-prise en compte de la situation matrimoniale et affective du salarié s’impose ainsi à la représentation du personnel, aux syndicats mais également aux normes infra-légales du droit du travail que sont les conventions et accords collectifs de travail. Le règlement intérieur ne peut comporter de dispositions lésant les salariés dans leur emploi ou leur travail, en raison notamment de leur situation de famille (L. 1321-3 code du travail).

Ainsi, une clause interdisant toute relation entre membres de l’entreprise serait illégale.

Le contrat de travail est également soumis à cette obligation : l’exemple le plus frappant concerne les clauses de célibat insérées à une certaine époque dans le contrat liant les compagnies aériennes à leurs hôtesses de l'air ou concernant les assistantes sociales. En effet, la liberté du mariage est un principe d'ordre public (Cass. mix. 17 octobre 1975).

 

A fortiori, l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire connaît certaines limites. Il ne peut fonder le licenciement d'un sacristain sur la révélation de son homosexualité car il s’agit d'un motif tiré uniquement de la vie privée (CA Paris 29 janvier 1992 1e ch. A n° 91-22143, Assoc. Fraternité Saint-Pie X c/ Painsec) ou encore sur une liaison avec un subordonné (Cass. soc., 20 oct. 1976), ou un supérieur hiérarchique (Cass. soc., 30 mars 1982).
De même la jurisprudence a récemment précisé que les juges du fond doivent faire abstraction du contexte amoureux de la relation de travail, pour s'en tenir à une analyse uniquement "professionnelle" des circonstances de fait. Ainsi, la rupture amoureuse entre un employeur et sa salariée ne peut suffire à justifier la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 8 février 2005, n° 03-40.385, Mme Marina Duprey c/ Entreprise Le Clémenceau).

Cependant, les faits de la vie extra-professionnelle du salarié peuvent être pris en considération « lorsque le comportement de l'intéressé compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l'entreprise a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière » (Cass. soc., 1er avr. 1992) ou qu'un discrédit a été porté à l'employeur (Cass. soc., 21 mai 2002).

Un tel trouble peut résulter d’une relation au sein de l'entreprise ; par exemple si celle-ci engendre une rupture d'égalité avec les autres salariés hors du couple. Ou encore constitue une faute grave le fait pour un salarié d'avoir une liaison avec la femme de son employeur et de relater cette inconduite en public (Cass. soc. 12 juillet 1990).

 

Ainsi, la protection des relations affectives découlant du rattachement à la sphère privée n’est pas absolue, l’employeur disposant du pouvoir de sanctionner certains comportements. Mais il lui incombe également une obligation de protéger le travailleur à l’encontre du harcèlement sexuel.

 

L’article L. 1153-1 du code du travail prévoit que « les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits ». Plusieurs agissements de harcèlement étant exigés, un seul comportement déplacé ne peut en principe suffire à caractériser un harcèlement.

Cependant, depuis la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, « tout agissement à connotation sexuelle, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant » est assimilé à une discrimination. Par conséquent, un agissement unique à connotation sexuelle peut désormais être sanctionné.

 

L’auteur du harcèlement sexuel peut être toute personne de l’entreprise, voire une personne extérieure à l’entreprise susceptible d’influencer le salarié (responsable de recrutement, client important, conjoint de l’employeur). Aucune restriction n’est posée quant à la qualité de la victime (salarié, candidat à l’emploi ou stagiaire).

Le harcèlement sexuel porte gravement atteinte à l’intégrité physique et psychique de la personne, à son droit au travail dans des conditions normales : il constitue une faute grave justifiant le licenciement de son auteur.A l’instar du droit communautaire, le législateur n’a pas précisé la nature des agissements pouvant caractériser un harcèlement sexuel.

Cette conception très vague permet d’englober de très nombreux comportements, tels que le chantage à la promotion, les propos déplacés ou obscènes, qu’il s’agisse de paroles ou d’écrits, exprimant menaces, avances, ou propositions de rapport sexuel (CA Metz, 10 nov. 2003, n°1999/02034 : « Tu as un cul d’enfer»).

Ces agissements ne doivent pas avoir été souhaités mais subis par la victime. Toute la difficulté sera de faire la différence entre le flirt entre collègues et le véritable harcèlement ce qui n’est pas sans difficultés et conséquences pour l’employeur. En effet, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, ce dernier voit sa responsabilité engagée dès qu’un salarié est victime de harcèlement sexuel, quand bien même il aurait pris les mesures nécessaires pour le faire cesser.


B) Les travailleurs du sexe

 

Par « travailleurs du sexe », hommes ou femmes, il faut entendre les prostitués, les acteurs de films pornographiques, les strip-teaseurs, ou les opérateurs de téléphone rose.

Même si l'objet du travail est pour eux en rapport avec le sexe, tous ces travailleurs n'ont pas la même existence aux yeux du droit du travail.

Par exemple, le statut des acteurs de films pornographiques est régi par assimilation aux acteurs « classiques » par le Code du travail et par la Convention de l’audiovisuel. Ils sont à ce titre considérés comme intermittents du spectacle, catégorie fourre-tout qui regroupe les artistes et techniciens de ce secteur. Ces acteurs sont subordonnés directement à la société de production car l’intervention d’un agent, pourtant d’usage pour les acteurs ordinaires, pourrait être qualifiée de proxénétisme. Le recours à un commissionnaire est néanmoins envisageable pour les activités connexes à la pornographie, par exemple les shows érotiques et les photographies de charme.

Tout comme les autres intermittents du spectacle, les acteurs de films pornographiques bénéficient des prestations de l’assurance chômage, sous certaines conditions. L’octroi d’un revenu de remplacement pendant les périodes d’inactivité, à condition toutefois de justifier d’au moins 507 heures travaillées sur 319 jours consécutifs. Ils sont couverts par la sécurité sociale en qualité d’assurés sociaux et à ce titre bénéficient de l’assurance maladie et cotisent pour leur retraite. On peut donc considérer que les acteurs pornographiques jouissent des effets protecteurs du droit social.

 

Les prostitués ne sont pas dans la même position. En effet, ils pratiquent des relations sexuelles contre rémunération. Bien qu’exercé par les membres des deux sexes, le « plus vieux métier du monde » est majoritairement accompli par les femmes et consommé par les hommes.

Il faut comprendre que désigner le ou la prostitué(e) de « travailleur du sexe » c'est déjà lui reconnaître le statut de professionnel. Pourtant, toutes les législations européennes ne s'accordent pas à raisonner de cette façon.


  • Les pays prohibitionnistes rendent illégal l’exercice de la prostitution, comme en Bulgarie, en Roumanie, ou en Albanie.
  • A l’inverse, les systèmes réglementaristes c’est-à-dire l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, encadrent cette pratique en conférant aux prostitués un véritable statut.
  • La France, quant à elle, opte pour une politique abolitionniste depuis 1946. En effet la loi Marthe Richard, qui interdit les maisons closes, ôte aux filles de joie leur statut réglementaire. Ainsi, la France, sans interdire l’exercice de la prostitution, occulte son existence, la plongeant dans un vide juridique.Elle ne condamne que les actions qui gravitent autour de la prostitution, ne réprimant que le proxénétisme et le racolage.

 

 

Cette position ambiguë est problématique car elle les prive d’un véritable statut social. Ils n’ont ni contrat de travail ni droit à la sécurité sociale en raison de leur activité professionnelle. Ils ne peuvent davantage conclure des conventions avec leurs clients ainsi ils ne sauraient être considérés comme des prestataires de services exerçant une profession libérale. L’État s’arroge pourtant le droit d’effectuer sur leurs revenus les prélèvements fiscaux dus par les travailleurs classiques. Les prostitués sont donc astreints à des obligations mais ne profitent que de droits limités.

 

Ils bénéficient néanmoins à titre subsidiaire d’un rattachement à la sécurité sociale pour l’assurance maladie par l’effet de certains mécanismes. Ainsi, les prostitués peuvent obtenir le statut d’ayant-droit par l’intermédiaire d’un proche. Une personne sans activité professionnelle pourra percevoir des prestations de sécurité sociale en vertu d’un lien familial ou affectif.

 

A défaut, le prostitué pourra prétendre à la couverture maladie universelle (la CMU). C’est un mécanisme permettant de couvrir tous les résidents du territoire français en situation régulière qui ne sont pas assurés sociaux ou ayant-droit.

Les prostitués en situation irrégulière peuvent, quant à eux, être pris en charge par l’Aide Médicale d’État, sous condition de s’acquitter de la somme de 30€.

 

L’étendue de leur couverture est donc limitée. Ils sont en effet appréhendés par le droit de la sécurité sociale en leur qualité de résident et non en leur qualité de travailleur ce qui entraine une protection qui se résume au seul remboursement des frais médicaux. Ainsi, à la différence des autres travailleurs, le prostitué ne pourra pas obtenir d’indemnités journalières compensant la perte de revenu en cas de maladie.

Le Danemark, l’Angleterre, l’Italie, la Suède ont retenu la même logique. Ainsi, aucun statut social ne leur est conféré mais ils bénéficient du service national de santé reconnu à tous les résidents.

 

Cette situation est d’autant plus critiquable que certains pays européens ont su attribuer aux prostitués un véritable statut. Ils peuvent soit adopter le statut de travailleur libéral, soit celui de salariés des établissements spécialisés de type Eros Centers, le proxénétisme étant légalisé.

 

Face à ces pays qui ont pris en main la situation, le droit social français nous semble bien impuissant à satisfaire les aspirations des travailleurs du sexe. Peut-être, le législateur devrait se laisser tenter par quelque infidélité à l’orthodoxie juridique.


 

Master 2 Recherche droit du travail et de la protection sociale, Promotion 2011 - 2012

 

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